Heterolexical Subjectivity : Cryptotextuality
Il convient tout d’abord de féliciter le généreux donateur de l’emploi remarquable qu’il fait de sa fortune, en souhaitant de voir son exemple suivi en France aussi bien qu’en Belgique.
M. Solvay fait accompagner les documents relatifs à cette donation d’une note sur sa conception de la physiologie et de ce qu’il appelle la physio- et la psycho-sociologie. On pourrait être tenté de continuer à l’approuver sans réserves dans ses conceptions scientifiques si leur fondement était, comme il le dit, l’application aux sciences sociales des méthodes fécondes et éprouvées de la physico-chimie et de la biologie, car tout le monde croirait qu’il s’agit ici des méthodes d’observation minutieuse et de comparaison expérimentale qui ont fourni à ces sciences leurs assises et leurs inductions. Malheureusement il n’en est pas ainsi, et du premier coup M. Solvay voudrait formuler une méthode sociologique déductive, analogue à celle de la physique mathématique, ou de la mécanique chimique, et sans analogue encore dans le domaine de la biologie, si ce n’est dans les conceptions particulières de l’auteur.
M. Solvay commence par rappeler une note qu’il publia en 1901, relative à l’énergéto-physiologie : « Au point de vue le plus général, [196] l’être vivant serait une réaction organisée spécialement pour oxyder à froid, de manière continue et avec dégagement final d’énergie, un milieu propre : sa raison d’être initiale, sa loi, son but, son intérêt seraient la production et la continuation prolongée de cette oxydation dans les meilleures conditions possibles. L’expression vie ne ferait que caractériser l’état d’activité exo-énergétique d’une telle réaction propre, et l’on pourrait dire ainsi que la vie d’un organisme est fonction immédiate de l’importance énergétique de cette réaction.... Dans le cas le plus général, si nous désignons par EC la valeur de l’énergie puisée par unité de temps par un organisme animal dans son milieu, c’est-à-dire la valeur totale de l’énergie potentielle attachée aux matériaux qui seront soumis à l’oxydation, c’est-à-dire aux matériaux consommés, par EF et ER les énergies respectivement aux matériaux fixés et aux résidus rejetés par l’organisme, enfin par EL l’énergie totale libérée par l’organisme pendant l’unité de temps, énergie totale qui se subdivisera, en générai, en deux parties ET énergie thermique, emmagasinable ou calorimètre, et EV énergie utilisable sous forme mécanique, on aura pour un organisme en voie d’évolution :
L’organisme est ainsi considéré comme un transformateur d’énergie qui existe à l’état potentiel, en raison de leur constitution chimique, dans les matériaux qu’il consomme. Son rendement R, à une époque quelconque, pourra alors s’exprimer par le rapport de son énergie totale libérée EL à l’énergie HC des matériaux oxydés, « c’est-à-dire par la formule :
« EV chez l’homme adulte, au bout de vingt-quatre heures, peut être évalué à 300 000 kilogrammètres, soit 705 calories, et ET représente 2 500 calories. On retrouve en gros (le mot nous semble bien choisi) EL, le nombre total de ces calories, en faisant EC = 3 290 calories (700 provenant de la combustion de 140 grammes d’albumine, 9%2 de la combustion de 205 grammes de graisse, et 1 638 de la combustion de 420 grammes d’amidon). ER = 88 calories, représentant la chaleur de combustion de 40 grammes d’urée éliminés. » On donne ainsi des formules de l’organisme normal, moyen, parfait (par analogie avec les gaz parfaits de la physique)....
Nous avons reproduit l’essentiel de ce raisonnement à prétention mathématique pour montrer tout l’artifice et toute la stérilité de la méthode. Il serait inutile d’insister. [197]
Or c’est sur ces données et par des considérations analogues que se construit l’énergéto-sociologie : « En tout premier lieu il est évident (pour l’auteur) que c’est la partie utilisable EV de énergie totale EL qui sera seule à considérer au point de vue social. Cette énergie EV s’exprimera par la formule :
Mais cette énergie ne pourra figurer « qu’en raison de son degré d’utilisabilité sociale et aussi en raison de sa durée d’utilisation sociale... Il s’introduira donc dans les formules un coefficient de socio-utilisabilité qui marquera le caractère social de l’énergétisme en cause ». En sommant, en intégrant cette énergie entre les limites de la durée totale de la vie de l’homme, et en sommant tous les termes individuels on formule l’énergie sociale totale disponible, et le rendement social, conformément aux principes posés pour l’énergie et le rendement d’un organisme dans l’ënergéto-physiologie.
M. Solvay croit alors pouvoir affirmer « que finalement l’énergétisme social disponible se trouvera rattaché à l’énergétisme des matériaux consommés » qui comprennent « à côté des choses purement matérielles et destructibles telles que les substances élémentaires, des choses matérielles presque indestructibles, telles que des terres et des bâtiments, et des choses d’ordre purement sensoriel ou intellectuel, n’ayant qu’une existence éphémère, telles qu’il en est parmi les productions de la science et de l’art ». Tous ces éléments ont, d’après l’auteur, une valeur physio-énergétique, directe pour les aliments, indirecte en ce sens qu’il produisent, une meilleure assimilation des premiers pour les autres : le principe général d’évaluation physio-énergétique se trouve donc confirmé et généralisé.
M. Solvay va encore plus loin. Il évalue même l’énergie du travail cérébral, intellectuel par les effets qu’il produit, par l’augmentation du rendement énergétique social : « On peut en effet constater d’une façon en quelque sorte mathématique que — ainsi que cela a lieu pour ce qui concerne les facteurs énergétiques indirects — tout se passe comme si l’intervention de l’effort cérébral dans les phénomènes sociaux introduisait purement et simplement dans les formules du rendement social des termes correspondant à des valeurs physio-énergétiques réelles. » L’auteur détermine ainsi 2 intégrales nouvelles qui expriment la capacité intellectuelle productive de l’individu pour lui-même d’abord, pour la société ensuite.
« Il n’entre pas dans le cadre de cette étude d’examiner en détail la question des méthodes qui seront à utiliser ou à créer pour arriver à l’évaluation des valeurs physio- et psycho-énergétiques individuelles ou sociales, que nous venons de définir, » conclut M. Solvay. C’est cependant cela seul qui nous intéressait. Nous croyons en effet que les phénomènes psycho-sociologiques sont d’une telle complexité qu’ils déjoueront tout effort d’analyse en ce sens. Et si jamais nous [198] arrivions à les réduire à des éléments assez simples pour les traiter d’une façon toute mécanique, ce qui est peut-être possible, outre que cela nous renvoie à un temps fort lointain, les lois qui les concerneraient se formuleraient sans doute d’une façon bien plus compliquée, et aboutiraient à des résultats tout à fait différents des résultats simplistes que nous venons d’exposer. Pouvons-nous former un souhait? c’est que l’Institut Solvay emploie ses ressources et le travail de ses étudiants à une patiente et minutieuse observation des phénomènes sociaux. Qu’il fasse de bons travaux historiques, de bonnes applications de la méthode comparative, qu’il réunisse des documents et qu’il les critique, qu’il se livre à de sérieuses enquêtes statistiques, en laissant de côté une généralisation prématurée, et une assimilation illusoire des sciences sociales aux sciences physico-chimiques. La systématisation mathématique viendra, quand elle le pourra, plus tard, sans doute beaucoup plus tard. [199]
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